Madame, vous avez dit belles choses…
 

À son époque Gustave Flaubert estimait que pour trouver de la beauté à une chose, il suffisait de la regarder longtemps. Pourquoi était-il plus facile d’observer des belles choses à son époque qu’aujourd’hui ? Les jours étaient-ils plus longs, et avec eux les heures, les minutes et les secondes. Non, les gens vivaient moins longtemps et regrettaient que la vie soit trop courte. De nos jours, nos contemporains aiment-ils moins vivre qu’hier ?

Certes, tenter de définir la beauté d’une chose sans rapprocher sa vocation à être plantée dans un décor où la chose non belle est omniprésente reste un défi. La beauté reste-t-elle condamnée à être une affaire de goût, ancre-t-elle ses réalités dans nos imaginaires, dans ce qui constitue nos racines les plus profondes, les plus insondables, celles qui finalement génèrent nos émotions les plus intimes ?

Ici, le propos doit rester simple, mais oublier que notre ère industrielle produit des choses qui n’ont nul besoin d’être belles pour exister, c’est nier une forme d’évidence car l’immensité de cette production tente de répondre à des besoins simples et à des besoins ordinaires, des choses ordinaires semblent suffire. Dès qu’une chose est améliorée pour sortir de sa condition ordinaire, devient-elle belle ?

Eh bien non car les contours d’une belle chose sont multiples. C’est de l’alliage subtil entre son esthétique et sa fonction que naît la belle chose. Une belle chose est donc une affaire d’émotions, mais d’émotions au pluriel si elles sont partagées par un groupe susceptible d’imaginer que la chose est devenue belle car elle a bénéficié des regards conjugués de personnes qui, grâce à leurs expertises réunies, a permis à une chose ordinaire de se retrouver belle sans changer pour autant sa vocation à être utilisée. Un vase n’est finalement qu’un récipient étanche que l’on remplit d’eau et qui va permettre à des fleurs de s’épanouir et de décorer un intérieur. Pourtant, plus le vase sera beau, et plus les fleurs seront belles. Il y a donc un lien véritable entre l’objet et sa vocation, car il est assez facile d’imaginer que des fleurs seront valorisées à se poser dans un beau vase, plutôt que dans une bouteille en plastique coupée en deux qui divisera aussi en deux la beauté des fleurs et en quatre celle de l’intérieur.

C’est à ce défi permanent que le quotidien nous confronte, lorsqu’il nous impose ses réalités. La norme est au service de l’ordinaire, car la norme impose ses formes, ses réalités et ses coûts, pour répondre à des besoins finalement assez simples qui savent se contenter de choses qui n’ont plus besoin de durer. Tout devient consommable, l’ordinaire se standardise, les consciences se modifient, et les choses devenues médiocres, rendent nos comportements à leur image pour s’enfoncer peu à peu, eux aussi, vers la médiocrité.

Gustave Flaubert pouvait s’émerveiller devant une chose, car l’objet débordait de ses réalités et s’enrichissait des compétences des hommes de l’art. Aujourd’hui les machines fabriquent les objets, et les machines sont souvent plus belles que les objets qu’elles fabriquent. C’est de ce non-sens que pourrait apparaître ce dysfonctionnent ou l’intervention de l’homme n’est utile que pour favoriser en priorité un modèle économique qui retient toute son attention. Que l’objet qu’il produit soit beau devient secondaire, car en s’accélérant nos époques deviennent terriblement éphémères à l’image des produits qu’elles fabriquent. Redonner de la beauté aux choses pour affirmer que vivre est un acte qui ne consomme pas, mais qui se savoure, est une simple ambition pour donner aux talents, les forces d’une résistance tranquille qui leur permettra de faire émerger le beau, pour le remettre à flot, pour lui donner les chances de se trouver un créneau pour exister, car nous devons l’admettre, nous préférons tous que la chose soit belle, et si elle est rare, elle devient plus chère. Cette fatalité nous condamnerait-elle au mauvais goût ? Résister au mauvais goût c’est aussi cultiver l’espoir d’un monde meilleur où l’homme qui marche, repartirait ainsi à la conquête de sa dignité.

Gustave Flaubert disait qu’il n’était pas nécessaire d’être cultivé pour trouver une chose belle, mais qu’il suffisait de se laisser pénétrer des émotions que la vie procure et que pour cela, il ne fallait pas consommer la vie avec outrance, mais prendre le temps de la savourer.